J’ai entendu parler de Robert Sacré quand je commençais à jouer du blues, à Liège, vers la fin des années 1960. Mais dans mon souvenir, je ne l’avais pas encore rencontré lorsque fut programmée, à la salle académique de l’Université, en mai 1968, la diffusion de certains titres de Skip James, dont Washington D. C. Hospital Center Blues. Robert organisait alors des concerts à Liège rue Sœurs de Hasque, au Pot-au-Lait. Il organisera aussi des concerts au campus du Sart-Tilman de l’Université. Notre collaboration débute véritablement lors 6e Congrès international des Lumières qui se tint à Bruxelles du 24 au 31 juillet 1983. J’avais été chargé avec Pol-Pierre Gossiaux de la section « Anthropologie et linguistique », dans le cadre de laquelle une table ronde fut consacrée à « L’Européen et la découverte de l’Autre ». J’invitai Robert à présenter une communication sur le blues ; il me permit aussi d’inviter à cette occasion Eileen Southern (Minneapolis, 1920-Port Charlotte, 2002), professeur à Harvard, qui avait été la première étudiante noire ayant obtenu un doctorat en musicologie, qui avait pour objet la musique afro-américaine.
Les biographes d’E. Southern rapportent qu’elle avait éprouvé des difficultés à ouvrir un cours universitaire sur cette musique, un doctorant venu d’Oxford ayant soutenu que seul le jazz représentait vraiment un réel sujet d’étude. L’idée d’un tel cours nous vint, à Robert et à moi, qui venait d’être chargé de cours à l’Université de Liège. Nous avons monté un dossier qui fut reçu favorablement. Chargé d’un cours sur « L’histoire du blues et des musiques afro-américaines », en 1983, Robert put intéresser pendant des dizaines d’années des étudiants de toutes les facultés, par sa connaissance étendue du blues, du gospel et du jazz.[1] Il m’a toujours gardé une grande gratitude de l’aide, en fait assez limitée, que je lui avais apportée à cette occasion. Je crois me souvenir qu’il avait programmé à son premier cours, dans une salle de la place Cockerill où les portes étaient restées granil des ouvertes, un titre de ZZ Top qui fut accueilli de manière dubitative par certains collègues.
L’activité académique de Robert Sacré se manifesta sans tarder. Dès 1984, il organisa un colloque sur Charley Patton, pour commémorer le cinquantième anniversaire de la mort de l’auteur des légendaires Pony Blues, Spoonful Blues repris par Clapton et les Cream, etc. On ne peut que recopier ici ce qu’a publié à ce sujet une chronique de l’Université.
« Le colloque consacré à Charley Patton en 1984 a rencontré un incroyable succès. Des spécialistes du monde entier, chercheurs, experts ou disciples de Patton, ont accouru à Liège pour y participer. Les remarquables interventions de David Evans (Memphis State University), l’expert incontesté du Mississipi Delta blues et particulièrement de Patton, et de Jim O’Neal (University of Mississipi), autre spécialiste de Patton, ont été très appréciées, de même que celles d’Eileen Southern (Harvard University) et d’Arnold Shaw (University of Nevada). Beaucoup de témoignages très intéressants ont montré l’influence de Patton sur d’autres styles régionaux du blues, proposés par John Broven (UK, expert du Louisiana Blues), Mike Rowe (UK, spécialiste du Chicago Blues), le bluesman Luther Allison, Cilla Huggins (UK) et Dick Shurman (USA), tous deux grands spécialistes de Willie Johnson et de Howlin’ Wolf, disciples de Patton. De son côté, Robert Sacré a remis en lumière toutes les étapes du passage de la musique de l’Afrique de l’Ouest aux musiques africaines-américaines, des racines et tronc commun africains aux branches principales américaines (musiques religieuses noires, blues et jazz) et secondaires (rhythm & blues, rock, rap, soul music, disco music et toutes les variantes de jazz). Enfin, Daniel Droixhe (Université de Liège, bluesman lui-même) a proposé une belle analyse musicologique du jeu de guitare de Patton ».
Les actes du colloque furent publiés par l’Université de Liège en 1987, mais rapidement épuisés. Une réédition destinée à un plus large public s’imposait. Elle fut prise en charge en 2018 par l’University Press of Mississsippi, sous le titre original : Charley Patton. Voici of the Mississippi Delta. Cette édition mise à jour, augmentée, en anglais, est devenue un classique. David Evans et Jim O’Neal y ont intégré des découvertes inédites.
L’Université de Liège s’honorerait en prenant en charge les archives de Robert Sacré, d’une très grande valeur culturelle, et commerciale. On sait qu’il était en relation avec les plus célèbres musiciens de blues. Il possédait plusieurs des photos d’Elmore James qui ornent les disques de l’auteur du johnsonien Dust my Broom. D’autres, comme Jean-Pierre Urbain, en auraient parlé mieux que moi, comme d’autres encore pourront traiter des inédits de Howlin’ Wolf que détenait Robert et dont la publication lui posa quelques problèmes. L’expérience le détourna de ce genre d’entreprise. Il avait encore de nombreux projets, dont nous parlions lors de nos rencontres à son domicile ou quand j’ai, trop peu, participé à l’émission de radio qu’il donnait chaque semaine. La présente chronique devrait être complétée. Elle ne constitue ici qu’un premier et rapide salut.
[1] https://www.news.uliege.be/cms/c_10486808/en/charley-patton-l-ouvrage-de-robert-sacre-aux-presses-de-l-universite-du-mississipi
Crossing lyrics (I). The Mississippi Sheiks’ “Sittin’ On Top of the World” and Charley Patton’s “Some Summer Day” (1930) - Elmore D.
Blind Lemon Jefferson – abs magazine online